La campagne de Franche-Comté en 1815 par Charles Venant

PENDANT LES CENT-JOURS, LA SUISSE QUITTE SA NEUTRALITÉ ET S’ASSOCIE AUX ALLIÉS POUR ENVAHIR LA FRANCE. ELLE MOBILISERA SON ARMÉE DE MILICE ET ENVAHIRA LA FRANCHE-COMTÉ. CETTE EXPÉDITION SERA LA DERNIÈRE MENÉE HORS DE SUISSE PAR L’ARMÉE FÉDÉRALE.

Le but de cet article n’est pas d’exposer par le menu détail les causes et les conséquences de cette campagne. Elles sont beaucoup trop complexes et nécessitent une bonne connaissance de l’Histoire de la Confédération Suisse. De même, je ne m’attarderai pas sur la composition et le fonctionnement de l’armée suisse de cette époque. Je ne parlerai ici que des faits et des événements qui se sont déroulés entre mars et septembre 1815.

Le 1er mars 1815 Napoléon débarque à Golfe Juan et marche sur Paris. Le congrès de Vienne est immédiatement interrompu et les affaires militaires reprennent le dessus sur la diplomatie. Tous les pays se mirent en état de guerre y compris la Suisse.

LA PROTECTION DES FRONTIÈRES.

Le 12 mars, la Diète fédérale décréta la levée de troupes fédérales pour protéger la frontière d’une éventuelle incursion de Napoléon et de sa petite armée qui remontent de Golfe Juan vers Paris. 12.000 hommes sont rassemblés et placés sous le commandement du Colonel Finsler. Ce petit corps d’armée se positionna dans les cantons de Vaud et de Genève, le long de la frontière, en un cordon d’observation servant à prévenir toute incursion étrangère. Les Bataillons Burnat et Martin (Brigade Guiguer de Prangins) avec deux compagnies d’artilleries se portèrent sur Gex et sur Genève pour y tenir garnison. La ville de Genève était la plus exposée et son intégration dans la confédération récente : l’arrivée de cette brigade rassura la population.

La reprise du pouvoir par Napoléon se précisant, la Diète décida d’augmenter la mobilisation à 30.000 hommes. Elle confia le commandement de l’armée au Général Bachmann, rétrogradant ainsi Finsler qui fut intégré à l’état-major du nouveau Général comme intendant-Général et chef des ingénieurs plus communément appelé quartier-maître général. Le regroupement des différents contingents envoyés par les cantons prit un mois, ce qui fut assez long ; et seul 20.000 hommes furent rassemblés. Ils furent formés en deux Divisions qui allongèrent le cordon d’observation le long de la frontière franco-suisse, dans une ligne continue de Genève à Bâle. La première Division, sous les ordres du colonel de Gady, occupa la zone entre le lac de Neuchâtel et le lac Léman. La deuxième Division, sous les ordres directs de Bachmann, occupa la zone entre le lac de Neuchâtel et Bâle. Les extrémités de cette ligne sont fortement renforcées : le 17 mars, une Brigade de 5.000 hommes fut envoyée à Bâle et la garnison de Genève passa à 1.200 hommes.

L’armée suisse avait sur sa droite l’armée autrichienne de Schwarzenberg comptant 210.000 hommes et occupant l’Alsace ; et sur sa gauche une autre armée autrichienne, commandée par Frimont, comptant 50.000 hommes.

L’armée suisse constituait la jonction entre ces deux corps autrichiens. Le Général Schwarzenberg craignait qu’une défection de la Suisse ne rompe sa ligne de communication entre son armée d’Alsace et celle d’Italie. Il souhaitait faire entrer ses troupes en Suisse. Un accord, habilement négocié par le porte-parole autrichien auprès de la Diète, le baron Steigentesh, fut conclu. La confédération quitta de fait sa neutralité en se rangeant du côté des Alliés à qui elle laissa le libre passage.

Pendant tout le mois d’avril 1815, le cordon d’observation fut maintenu le long de la frontière. Des incidents eurent lieu entre postes suisses et francs-tireurs français. Dans la nuit du 23 au 24 avril, une importante fusillade éclata à Vallorbe. La Brigade stationnée à Orbe se porta en soutien à Ballaigues. Dans la nuit du 29 au 30 avril, à Nyon, un poste tenu par des troupes d’Argovie fut attaqué. Des troupes du colonel Guinguer sortirent de Genève et accoururent à leur secours.

LA PRÉPARATION DE L’INVASION.

Sentant que sa ligne de front était trop étirée le long de la frontière, le Général Bachman décida de regrouper l’ensemble de ses troupes (trois Divisions) plus en arrière, de manière à se porter facilement sur un point en cas d’attaque. Du 1er au 6 mai, elles firent mouvement vers leurs nouvelles positions à Yverdon, Aarberg et Bâle. La Division de réserve, composée des 4 bataillons au service de la France revenus quelques semaines auparavant, fut stationnée à Berne. Quelques Brigades indépendantes furent envoyés à Genève, à Neuchâtel, dans le Valais et le Tessin. Dans le même temps, Bachmann demanda la levée du second contingent, composé des troupes de réserves, et augmenta ainsi son effectif à 41.000 hommes. Pendant que les troupes étaient stationnées dans leurs nouveaux cantonnements, on en profita pour les instruire : des baraques furent construites à Valleyres-sous-Rance, Chevressy, Pomy et Chavornay.

Au mois de juin, les Autrichiens lancèrent leur offensive en France. L’armée du Général Bianchi, avec les Sardes, pénétra en Provence, repoussant les troupes de Dessaix. En Alsace, Schwarzenberg fut mis à mal par Lecourbe qui lui tint tête. Dans les Alpes, Frimont était aux prises avec les troupes du Général Suchet. L’Autriche souhaitait que la Suisse engagea des opérations militaires contre la France dans le Jura afin de soutenir ses actions dans les Alpes et en Alsace. Le baron Steigentesh poussa le Général Bachmann dans ce sens. L’armée suisse fut considérée comme faisant partie de la ligne de front des alliées et dut agir en conséquence.

À la fin du mois, de nombreux incidents eurent à nouveau lieu le long de la frontière : des cavaliers attaquèrent le village de Bavelier le 20 juin. Le 28, des soldats français pillèrent Damvant et Reclère. Quelques soldats suisses passèrent la frontière pour les poursuivre. Le même jour, la forteresse de Huningue située en face de Bâle, bombarda cette ville sans avertissement. Ce dernier événement suffit à justifier une invasion de l’armée suisse sur le territoire français. Le Général Bachmann informa la Diète qu’il ne pouvait plus garantir l’intégrité des frontières sans occuper certains points en territoires français.

L’OFFENSIVE EN FRANCHE-COMTÉ.

Le 29 juin il adressa un ordre du jour annonçant officiellement l’offensive contre la France. Le 2 juillet, l’avant-garde pénétra en Franche-Comté par Chevenez. Elle etait composée de 2 bataillons et d’une batterie d’artillerie sous les ordres du Colonel Gatschet. Après avoir repoussé des corps-francs à Damvant et Villars, elle arriva dans la nuit devant le château de Blamont tenus par 86 français. L’assaut fut donné avec trois compagnies zurichoise et la batterie d’artillerie. La garnison se rendit avec les honneurs de la guerre et fut autorisée à rentrer en France. Les troupes suisses récupèrent 4 pièces d’artillerie et des munitions.

Le reste des troupes fédérales pénètra en France la nuit du 4 au 5 juillet. La Brigade Girard (2e brigade, 1er Division du Colonel Gady), stationnée à Valleyres-sous-Rances, se diriga sur Ballaigues et Pontarlier. Son avant-garde composée de 2 bataillons, 2 compagnies de chasseurs et d’artillerie, passa la frontière le matin du 5, à 11 h et poussa jusqu’à Pontarlier tandis que le gros de la Brigade s’arrêta à Jougne. Le Colonel Girard fit aussi surveiller le fort de Joux et sa garnison. Il conclut un accord avec le commandant de la place qui accepta de ne pas tirer sur les troupes suisses en échange de quoi il ne serait pas attaqué. La Brigade Glutz arriva ensuite et se joignit à celle de Girard pour occuper Pontarlier. La Brigade Hogguer, de la même Division, se plaça en soutien aux Hôpitaux-Vieux. De Graffenried arriva du Valais, où il avait été détaché, un peu plus tard. Le secteur allant de Pontarlier à Morteau fut confié aux 4 bataillons « français ».

Au nord, la Division d’Affry effectua sa percée avec les brigades Schmiel, Lichtenhan, de Prangis et Effinger. Ces deux dernières Brigades s’avançèrent sur Morteau puis la vallée de la Chaux-du-Milieu sans rencontrer d’ennemis mais par très mauvais temps. Lichtenhan partit à Bâle.

La Brigade Schmiel reçut l’ordre de marcher vers la frontière par Délémont. Mais, arrivé à la frontière, entre Renan et les Bois, les bataillons des cantons de St-Gall, Thurgovie, Appenzell, Tessin, Argovie et Grisons se mutinèrent et refusèrent de passer en France. Ils n’approuvaient pas la politique de la Diète. Leurs cantons prônaient plutôt la neutralité. Seul un bataillon, celui de Zurich, accepta de traverser. Les autres firent demi-tour mais se heurtèrent à des troupes de la réserve, commandées par le Colonel de Finsler, qui leur barraient la route. Celui-ci ramena les mutins à la raison mais en les menaçant avec son artillerie. La Brigade Schmiel fut dissoute et les bataillons répartis dans les autres corps.

Dans le même temps, la Division de réserve se plaça à Aarbeg, forte de 11 bataillons, 8 compagnies d’artillerie et des compagnies de carabiniers.

Mais l’avance de l’armée fédérale, qui avait poussé jusqu’à Salins, Ornans et Valdahon, dut être stoppée : après la Brigade Schmiel, ce fut un bataillon lucernois (bataillon Göldlin) qui se mutina et tira sur ses officiers. Le moral baissa dans l’ensemble de l’armée en raison d’un temps exécrable et de problèmes de ravitaillement. De plus, la Diète n’approuva plus les opérations menées par Bachmann en Franche-Comté. Désavoué, celui-ci démissionna avec colère le 20 juillet. Le Colonel Finsler reprit le commandement et mena le retrait des troupes de Franche-Comté.

LE SIÈGE DE HUNINGUE.

Seul un contingent continua à être engagé du côté des Alliés. Il fut envoyé à Huningue, où l’armée autrichienne assiégeait la forteresse. 1.600 français sous le commandement du Général Barbanègre tenaient tête à 12.000 soldats autrichiens et suisses. Le siège avait commencé dès le 28 juin mais ce n’est qu’au début du mois d’août que les premières troupes suisses furent détachés en renfort. Un premier détachement fut envoyé et reçut un secteur sur la ligne de siège : il est composé de 1.500 hommes issus des bataillons Landolt (Zurich), Zur-Gilgen (Lucerne), Frey (Bâle), et Legler (Glaris). Ils étaient soutenus par un bataillon autrichien du régiment de Wurtemberg. Dans la nuit du 17 au 18, ils édifient une première parallèle de 500 toises, reliés au hameau de Neuhaus par une autre tranchée de 1.000 toises. Le matin, vers 11 h, l’ennemi ouvre le feu sur les positions suisses, qui soutinrent très honorablement le feu. Deux hommes furent blessés. La nuit suivante, la tranchée est poussée vers le nord et huit redoutes d’artilleries sont établies. Puis, les carabiniers zurichois des compagnies de Hensler et Pfenninger prirent position dans une tranchée au bord du fleuve et empêchèrent efficacement toute sortie des Français.

De nouvelles troupes arrivèrent portant l’effectif total des Suisses à 4.600 hommes. Il s’agit des bataillons Hausheer (Zurich), von Hallwyl (Argovie) et Näf (Appenzell). La nuit du 21, cinq nouvelles batteries sont édifiées et pourvues d’obusiers et de mortiers. Le 22, le bombardement général est ordonné par l’archiduc Jean, en charge du siège. La garnison française résista jusqu’au 27 puis se rendit. Le Général Barbanègre sortit avec les honneurs de la guerre, en tête de ses faibles troupes, composées dans l’ensemble de gardes nationaux.

Des troupes fédérées étaient présents dans les rangs autrichiens pour rendre les honneurs : le bataillon Suter (Argovie), le bataillon Frey( Bâle), l’artillerie et l’État-major du Colonel Finsler avec le Colonel Lichtenhan avec leurs homologues autrichiens.

Au terme du siège, les troupes suisses avaient eu deux morts et une dizaine de blessés. Elles avaient eu une excellente attitude sous le feu ; même le bataillon Näf, issu de la Brigade Schmiel qui s’était mutiné en Franche-Comté. Leurs officiers avaient fait preuve de courage et de sang-froid.

La démobilisation se fit progressivement. Quelques bataillons furent envoyés dans des cantons agités, pour y mener des opérations de police, avant de rentrer chez eux. Au début du mois de septembre, il n’y avait plus que 2 bataillons à effectifs réduits sur la frontière, ainsi que les 4 bataillons « français » qui allaient regagner Paris.

Cette campagne fut la dernière opération menée hors de ses frontières, par l’armée suisse. Elle fut peu glorieuse en ce qui concerne l’invasion de la Franche-Comté. Mais le siège de Huningue fut plus réussi et redonna un peu de prestige aux soldats suisses qui y participèrent. Bien qu’elle fût menée lamentablement et que son bilan fut médiocre, la campagne de Franche-Comté permit à l’état-major suisse d’en tirer de nombreuses leçons qui servirent plus tard à créer la future armée fédérale, notamment la création d’États-majors permanents, d’une école militaire pour les officiers et l’établissement d’une nouvelle carte topographique.